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La réforme du droit des sûretés et du Gage

Nous avons interrogé Maître Jean-François QUIEVY sur la réforme du gage et les possibles changements à venir.

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Pourquoi réformer le gage ?

Tels qu’il se lisent sur le site du Ministère de la Justice, les objectifs déclarés de la réforme du droit des sûretés – et donc spécifiquement celle du gage – me font quelque peu songer au mariage de la carpe et du lapin ! Il s’agit d’accroître la sécurité juridique de ce droit, ce qui en suppose la précision… mais d’améliorer en même temps sa lisibilité et son intelligibilité, ce qui en impose la simplicité et la concision. Il s’agit aussi de renforcer son efficacité et son attractivité, pour la plus grande satisfaction des créanciers… tout en s’assurant de l’équilibre de leurs intérêts avec ceux des débiteurs et garants. A vrai dire, de tels objectifs, qui sont monnaie courante dans nos lois modernes, renseignent peu sur le but véritable de cette réforme du gage.

Pour en savoir davantage, il faut poursuivre plus avant la lecture de l’exposé ministériel. Celui-ci précise que l’avant-projet s’inspire des travaux d’un groupe de travail présidé par le Professeur Grimaldi sous l’égide de l’Association Henri Capitant, groupe d’universitaires qui s’est donné mission de « parachever » la réforme de 2006. Cette réforme portait avant tout sur le droit des sûretés réelles, en somme les garanties prises sur des biens (act. art. 2329 C. civ.) : privilèges mobiliers, gage sur meubles corporels, nantissement de meubles incorporels, clause de réserve de propriété. Les sûretés personnelles, c’est-à-dire les garanties dues sur le patrimoine de tiers, avaient été peu ou prou délaissées. L’ordonnance du 23 mars 2006 avait introduit des dispositions nouvelles sur les garanties autonomes et la lettre d’intention. Cependant,  elle n’avait pas osé s’en prendre au régime du cautionnement, qui remonte au vénérable Code civil de 1804 (art. 2287-1 à 2322 C. civ.) : l’ouvrage, monumental, exigeant l’intégration d’une jurisprudence prolifique et pluri-centenaire, avait découragé les plus fervents partisans d’une refonte totale.

Près de quinze ans plus tard, les membres du groupe universitaire, dont il faut saluer le labeur et l’esprit de suite, ont transmis à la Chancellerie leur proposition de réforme du cautionnement tant attendue. Je remarque cependant qu’ils ne se sont pas contentés de « parachever » l’édifice des sûretés. Ils ont prétendu en effet reconstruire même ce qui avait été bâti en 2006 pour le gage ! Les dispositions de 2006 étaient pourtant digérées et appréciées par les tiers détenteurs et les établissements de crédit et nul besoin pressant de rebattre les cartes ne se ressentait. Esprit de système ou désir de mieux faire ? J’ai le sentiment qu’ils ont oublié l’avertissement du doyen Carbonnier, lequel, s’inspirant de Montesquieu, professait que le législateur ne doit légiférer qu’en tremblant. Quoi qu’il en soit, les praticiens, dont je fais partie, n’ont pas hésité à dénoncer à la Chancellerie les ambiguïtés que cette proposition universitaire renfermait. Nous sommes soulagés de voir que l’avant-projet en a été expurgé et que sa mouture est beaucoup plus satisfaisante.

Quels changements sur le gage sur stock sont à anticiper  ?

Je m’en tiendrai ici aux trois bouleversements majeurs que comporte cet avant-projet. Je laisserai de côté les modifications de détail, telles que les précisions de régime apportées au droit – rarement mis en œuvre – du créancier gagiste de poursuivre la vente des biens gagés (nouv. art. 2346 C. civ.) ; ou l’évaluation, dans le cadre d’une attribution judiciaire ou conventionnelle, du bien gagé en fonction de sa cotation officielle s’il est coté sur une plateforme de négociation (nouv. art. 2348).

Autorisation du gage sur les biens mobiliers intégrés à des immeubles

La première innovation consiste à autoriser le gage sur les biens mobiliers qui ont vocation à être intégrés à des immeubles, à l’instar des turbines, transformateurs, panneaux solaires ou autres équipements des parcs éoliens, centrales solaires ou d’installations industrielles ou minières (nouv. art. 2334 C. civ.). Jusqu’à présent, on considérait que leur qualification d’ « immeubles par destination » leur interdisait toute mise en gage, traditionnellement réservés aux seuls « meubles » (biens mobiliers). Des économies pourront ainsi être réalisées par ce biais, quand on songe au coût de constitution d’une hypothèque. Assurément, il n’est pas exclu que des conflits surgiront entre le créancier gagiste de cet immeuble par destination et le créancier ayant inscrit hypothèque sur l’immeuble par nature principal ; rappelons que celle-ci s’étend aux immeubles par destination qui en sont l’accessoire (art. 2397 C. civ.). L’avant-projet règle leur ordre de préférence, sainement, par égard à l’antériorité de la date de publication respective du gage et de l’hypothèque (nouv. art. 2418). On peut pronostiquer de la sorte qu’un gage sans dépossession inscrit sur le registre spécial visé par le nouvel article 2338 – actuellement tenu par le greffe du Tribunal de commerce du lieu du constituant – sera opposable, sur l’immeuble par destination, au créancier ayant publié postérieurement une hypothèque concurrente au registre du service foncier. S’agissant d’un gage avec dépossession, se posera la question de savoir si le constituant peut se déposséder d’un tel bien réputé attaché à l’immeuble par nature principal. Si la réponse est affirmative, il faudra en déduire, puisque la dépossession entre les mains du créancier ou du tiers convenu réalise la publicité du gage (art. 2337), que son antériorité la fait primer sur l’hypothèque postérieure.

Suppression du gage sur stock du Code de commerce

Plus déroutante, la deuxième innovation de l’avant-projet consiste à supprimer le gage des stocks du Code de commerce que la loi du 23 mars 2006 avait créé initialement sans dépossession au bénéfice des établissements de crédit (art. L. 527-1 et s., qui seront abrogés). Cette sûreté alliait rigidité, par le formalisme de sa constitution, et efficacité, par l’aisance à en modifier l’assiette. Une ordonnance de 2015 lui avait offert un régime complet en permettant, à l’instar du Code civil, que ce gage s’accompagne de la dépossession du constituant. La jurisprudence ayant décidé qu’il ne serait plus exclusif, les établissements de crédit disposaient ainsi d’une option entre ce gage des stocks avec celui de marchandises du Code civil, chacun se subdivisant selon que le gage s’accompagne ou non d’une dépossession du constituant. Cette situation a-t-elle incommodé des esprits avides de simplicité ou de justice ? L’éclatement du droit du gage entre quatre figures semble avoir été perçu comme inutilement complexe, à moins que l’idée d’une sûreté « VIP » dédiée aux banques ait excité un certain sens de l’équité. Quoi qu’il en soit, ce sera bientôt de l’histoire ancienne. Comme n’importe quel créancier, les établissements de crédit ne pourront recourir qu’à l’une des deux figures du gage du Code civil, le gage avec ou sans dépossession de choses fongibles (on met à part le gage de corps certains, qui concerne avant tout les œuvres d’art). Pour ne pas léser le milieu bancaire et financier, l’avant-projet s’essaie à importer dans les nouvelles dispositions du Code civil celles qui donnaient son éclat au gage des stocks. Ainsi, la faculté pour le constituant d’aliéner des choses fongibles gagées et de les remplacer « par la même quantité de choses équivalentes » devient une conséquence naturelle du gage de choses fongibles. Elle n’a plus besoin d’être confortée par une clause de substitution comme c’était le cas naguère (nouv. art. 2342). La pratique ayant eu une conception contractuelle très souple de la fongibilité (ex : substitution de produits intermédiaires d’aluminium réputés contractuellement fongibles aux produits finis en zinc), on émet le vœu que l’équivalence visée par l’article précité sera interprétée dans le même sens qu’il l’était dans le gage des stocks du Code de commerce.

Fin du régime spécifique sur le gage portant sur un véhicule

Enfin, la troisième et dernière innovation est de sonner le glas du régime spécifique du gage portant sur un véhicule et de soumettre cette sûreté au droit commun du gage (art. 2351 à 2353 abrogés). Peut-être certains, un peu hâtivement, se réjouiront que le droit s’en trouve simplifié. J’admets pour ma part ressentir davantage d’embarras. Le recours au gage des stocks est massif dans le secteur du financement des négociants et concessionnaires automobiles ou de machines agricoles. Or il n’existe actuellement dans l’avant-projet aucune alternative au gage des stocks pour inscrire un gage sans dépossession portant sur les stocks de véhicules immatriculés. Le décret de 1953 (gage dit « Préfecture ») n’est en effet applicable qu’au financement de la vente d’automobiles à l’utilisateur final et non au concessionnaire. La suppression du gage des stocks, sans création d’une alternative permettant aux entreprises de mobiliser leurs stocks de véhicules (qui sont souvent leurs seuls actifs mobiliers), pourrait donc se révéler en l’état préjudiciable à leur recherche de financements. La Chancellerie a été avisée de cette difficulté.

La réforme affecte-t-elle les gages en place  ?

L’avant-projet de réforme du droit des sûretés mis en ligne par le Ministère de la Justice n’est pour l’heure que l’aboutissement des travaux de la Chancellerie menés à partir de ceux du groupe dirigé par le Professeur Grimaldi. Il a déjà été communiqué aux milieux professionnels susceptibles d’être impactés par cette réforme et se trouve dorénavant ouvert aux suggestions du public. Il n’a pas encore été adopté par voie d’ordonnance par le gouvernement, dûment autorisé par le Parlement à en prendre sur cette thématique par une loi PACTE du 22 mai 2019. Il n’a donc pas valeur légale à ce jour.

On peut néanmoins gager que cette ordonnance, consacrant l’avant-projet éventuellement modifié, sera prise au plus tard au sortir de la période estivale. Rien ne nous est dit en revanche sur l’application de cette réforme dans le temps. Peut-être y aura-t-il des dispositions transitoires spécifiques. En cas de silence, les nouveaux textes ne s’appliqueront qu’aux actes de gage conclus postérieurement à leur entrée en vigueur, conformément à un principe juridique bien établis, dégagé par le Doyen Roubier, celui de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Si tel est le cas, tous les gages mis en place antérieurement demeureront régis par les anciens textes du Code civil et du Code de commerce jusqu’à leur extinction.